Comment tout commence avec la couleur.
Dans le cadre des Design Days (Nov. 2023), la nouvelle collection capsule Nathalie Chapuis & L’UPCYCLERIE, faite à partir des dons de chutes de tissus, a été présentée dans la magnifique boutique de la rue des Bains. Une soirée a été organisée autour de la couleur, durant laquelle j’ai pu expliquer mon cheminement artistique pour aboutir à la création de motifs hauts en couleurs, et mes sources d’inspiration. Un moment d’échange privilégié qui a été l’occasion d’exposer un thème central, primordial dans la construction des collections de L’UPCYCLERIE.
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La couleur est une thématique centrale dans ce que je fais, et pourtant je n’ai jamais vraiment mené une réflexion approfondie sur le sujet tant il est instinctif. Depuis 2019 je développe l’idée que l’apport artistique est un outil capital dans le processus de différenciation et de création de lieux uniques. Autodidacte dans ce domaine – j’ai suivi des études de Sciences Politiques et travaillé dix ans dans la finance – je n’ai jamais appris les règles dans une école d’art, j’ai donc une approche purement intuitive de la couleur, qui se nourrit avant tout de l’expérience.
La couleur est un thème à la fois universel (tout le monde sait a priori ce que sont le rouge, le jaune, le bleu) et pourtant la perception des couleurs par chacun est totalement subjective. Je vous expose ici ma perception de la couleur.
Sources d’inspirations.
Je suis venue au design de motif par la peinture. Formée par la même professeure depuis l’âge de 5 ans, ma passion pour la peinture est née en copiant des artistes classiques en peinture à l’huile, Renoir en particulier. J’aimais surtout les multitudes de nuances de teintes aux noms savants (Jaune de Naples, Bleu de Prusse, Outremer, le Blanc de Zinc.. ) que l’on pouvait retravailler à l’infini grâce au long temps de séchage de la peinture à l’huile.
A 23 ans, après 6 mois à Nashville dans le Tennessee, ville devenue grande source d’inspiration, je suis partie à NYC. Découverte du MoMa. J’étais déjà très attirée par l’esthétique des années 1960-1970, ma chambre d’étudiante décorée au total look Austin Powers.
J’ai été fascinée par le Pop Art, surtout par des artistes dont la couleur est le thème central : Rosenquist, Liechtenstein, Warhol, Robert Indiana.
J’ai commencé à réaliser mes propres compositions de peinture, avec des éléments très éclectiques, à imaginer des mises en scène sur des toiles tendues, à créer des coussins avec des tissus découpés très colorés, et des messages engagés inscrits dessus. J’ai découvert plus tard Poliakoff, Robert et Sonia Delaunay, ou Paul Klee dont j’admire beaucoup les recherches chromatiques, les harmonies, les textures.
Au fur et à mesure je me suis nourrie de sources très diverses, dans le quotidien, par le biais de différents vecteurs culturels, les déclics survenant la plupart du temps de façon hasardeuse.
Un livre sur la couleur des insectes (éditions Papier Tigre), les pochettes de vinyles vintage, une revue sur la mode des 60s, des journaux de patron de tapisserie du 19e S que j’ai retrouvés dans un grenier. J’aime l’éclectisme par-dessus tout : faire la synthèse entre un papier peint floral vintage, le reflet des montagnes dans le lac, et un album punk des années 80s.
Les couleurs dans le motif.
Quand je dessine un motif, j’ai toujours en tête la vision du motif fini comme donnée de départ. Je définis au préalable le style de la collection. Par exemple dans « Escape », je voulais utiliser des tons très Pop Art. Dans la collection Nature Graphique en revanche, j’ai eu envie de tons plus doux, plus proches de la nature. Je fais des essais avec les motifs, je m’exerce à varier les tons jusqu’à tomber sur le mariage parfait, auquel on ne peut apporter de modification sans appauvrir la qualité visuelle. En fonction des contrastes et des couleurs on obtient des rendus très différents. J’ai un penchant naturel pour certains ensembles de couleurs : bleu/violet, ocre, et vert. Au gré des demandes de clients, j’explore différentes combinaisons plus inhabituelles, qui amènent le motif dans des réalités visuelles très différentes du point de départ. J’aime ce type de défi.
Parfois ce sont les couleurs qui dessinent le motif et créent les contours.
Dans le motif « Où sont les vaches » ou « Fleurs bleues », en fonction de l’élément sur lequel votre regard se concentre, vous ne voyez pas la même chose. C’est intéressant de jouer sur cet aspect pour créer de la fantaisie et laisser libre cours à l’imagination des spectateurs.
Inhérent au concept de motif est la notion de répétition qui nous amène vers le paramètre du rythme. Souvent, l’alternance de couleurs permet de donner le tempo. Je ne suis pas de paradigme spécial du type couleurs chaudes/froides, clair/obscur. En revanche il y a une question de proportion : la couleur dominante détermine l’ambiance du motif et le dessin peut être totalement différent suivant l’ordre et les couleurs mises en avant.
Les couleurs dans le motif sont étroitement liées aux techniques de fabrication. Ces couleurs peuvent être celle des fils dans le cas d’une étoffe tissée. Elles proviennent de l’encre dans les techniques d’impression.
Lorsque j’ai voulu réaliser mes premiers tissus je me suis tournée vers l’impression numérique. Celle-ci présente l’avantage de permettre des petites quantités, sur des supports variés.
Elle requiert néanmoins une certaine technicité : Les couleurs à l’écran ne sont pas les mêmes que celles qui sortent de l’imprimante. Au sein d’une même maison chaque support aura un rendu différent. Dans le concept de design immersif, le challenge c’est de pouvoir avoir la même teinte sur un tissu, du papier peint, ou de la moquette, qui correspondent à 3 fournisseurs différents. Les systèmes de couleurs type pantone, RAL permettent éventuellement de désigner le rendu attendu de la couleur finale, mais la méthode est propre à chaque fabricant. La création de nuanciers pré-imprimés permettent au client de connaitre à l’avance le rendu, de pouvoir éventuellement choisir directement des couleurs ou au minimum avoir un point de départ dans le choix des couleurs.
Les couleurs dans l’espace.
On rembobine : avant même de choisir teintes, motif, et support, la vision de la mise en scène finale est primordiale, et reste le fil rouge. Elle est à l’origine des déclinaisons d’éléments du décor. Dans cette partie il ne s’agit plus seulement du pigment : variations d’intensité et de lumière font partie intégrante de la perception de la couleur.
La couleur des murs n’est pas indépendante du reste. Elle dialogue avec le paysage, la couleur et texture des matériaux, le mobilier, ainsi que les bruits et les odeurs.
Tous les éléments qui font appel à nos sens participent à l’impression générale. Notre regard en premier lieu, englobe tous ces éléments pour analyser notre ressenti lorsque l’on est dans un endroit. Le concept de design immersif propose de mettre en scène des motifs de façon monumentale en fixant l’attention sur les murs et les sols comme premiers supports. Les couleurs ont un rôle capital puisque c’est par elles que le regard est attiré. Il y a une sorte de route à double sens, de notre regard vers la couleur, qui définit le caractère d’un endroit (« il est bleu, jaune, rouge »), et en retour la façon dont la couleur impacte le visiteur dans ses émotions.
Les couleurs sont aussi porteuses de toute une symbolique, de façon consciente ou non, elles nous renvoient à la mémoire de sensations et à notre imaginaire. A ce titre le Fengh Chui offre une théorie très intéressante, par l’idée qu’à l’orientation de la pièce correspond une catégorie de couleurs, qui garantit bien-être et harmonie.
Enfin, la couleur est aussi un liant. Dans un lieu avec de nombreux éléments disparates, ou dans un espace peu organisé, la couleur est un outil efficace qui donne unité et cohérence à l’ensemble. Pour revenir au motif, on peut mettre dans la même pièce différents motifs, avec un lien chromatique, façon XVIIe S., le décor n’en sera que plus riche !
Lorsque l’on évoque la couleur, la question du « bon goût » surgit assez naturellement. Le rose et le rouge ne feraient pas bon ménage, le bleu marine et le noir non plus.
Je ne crois pas qu’il y ait de bon goût ou de mauvais goût. D’abord parce que ce sont des concepts très normatifs, et que la couleur est avant tout une expérience personnelle, elle est différente pour chacun, elle est aussi très culturelle.
Ensuite parce que c’est avant tout l’harmonie globale qui compte : une « belle » couleur peut être anéantie par un décor discordant, ou l’inverse.
Cependant, si l’on considère que le mauvais goût est le léger faux pas hors d’un ordre établi, ou le petit détail qui dérange, alors je pense qu’il a une certaine vertu: c’est peut-être dans le décalage d’un ton, dans la dissonance subtile, que se loge quelque chose d’un peu enivrant qui crée l’attirance pour l’inhabituel et donne l’envie de se noyer dans un décor.